Le livre numérique permet d’autres expériences qui le rapprochent bien souvent du transmédia et des arts numériques. Le livre doit sortir de ses limites pour inventer sans cesse de nouvelles formes, et mettre en avant des fictions qui entrent en résonance avec le monde dans lequel nous vivons. L’enjeu sera pour nous de tenter de répondre à ces questionnements :
Comment raconter une histoire écrite sous forme de blocs distincts, fragments de textes indépendants qui puissent se lire de manière non-linéaire ? Comment faire partager au plus grand nombre cette expérience intime qu’on a tous vécue en tant que lecteur où chacune de nos lectures d’un texte nous en fait devenir l’auteur ? Écouter un texte et lire ce texte, ce n’est pas la même chose, de même, le temps passé à lire un livre peut être différent selon les individus : chacun sa lecture, son parcours.
Par quels moyens parvenir à rendre sensible ces phénomènes passionnants ? Une écriture en perpétuel mouvement : Une contrainte est une règle d’écriture qui entraîne une règle de lecture. Un pacte entre auteur et lecteur. Le récit, qui s’est écrit directement en ligne, est basé sur une histoire composée de 365 pages de 1001 signes chacune, dont la lecture est non-linéaire, et dans les fragments de laquelle les lecteurs cheminent tels des promeneurs en fonction de leurs parcours.
Le texte est une mosaïque qui procède par fragments, accumulation, juxtaposition et sédimentation, permettant au lecteur un accès direct au processus d’écriture. Les textes sont liés les uns aux autres mais pas de façon chronologique. La temporalité de la narration ne correspond pas à celle des événements racontés. Récit polyphonique dont la publication ne retiendra qu’une sélection aléatoire dans l’ensemble des fragments écrits, éditée sous différentes formes.
Le récit a été édité dès le départ par blocs, fragments indépendants, tout en suivant à
certains moments des séries thématiques (sur la marche, la photographie, la mémoire,
le temps, la disparition, les visages, l’identité, le théâtre, l’île Saint-Louis, Paris et ses quartiers…), en cherchant toujours à garder un équilibre à l’ensemble.
L’écriture à points de vue multiple, polyphonique, selon la forme du prisme, à la deuxième ou troisième personne, au présent comme au passé, sous la forme romanesque, celle du poème ou du journal intime, de l’essai, en se focalisant sur un personnage, un lieu, ou un thème précis.
Les sources d’énonciation hétérogènes qui s’enchevêtrent dans les fragments du texte, en plusieurs voix narratives, répondent à une stratégie pour déconnecter le discours narratif par rapport au discours personnel de l’auteur, en se plaçant à l’origine d’un récit enchâssé, où s’insèrent parfois des répliques en style direct, l’émergence de récits ironiques, l’interpolation de fragments de discours hétérogènes (textes de lettres, articles de journaux, extraits de livres fidèlement retranscrits), et donner l’impression que le récit est écrit par plusieurs locuteurs, qui se distinguent de sa figure, afin de permettre au lecteur de révéler par ses mouvements le déclenchement et le surgissement des différentes voix et leur donner une cohérence malgré la fragmentation, les faire entendre, au sens propre du terme.
La participation du lecteur est activement sollicitée par cette forme kaléidoscopique de la réalité dont il doit reconstituer la cohérence par des recoupements multiples ou relativiser les perspectives parfois contradictoires.
Cette polyphonie narrative ne fait qu’augmenter le trouble, le désordre qui perturbe les préalables, les enchaînements et les conclusions d’un récit classique. Le lecteur vit l’histoire racontée au rythme des personnages sans jouir d’aucun avantage informationnel
sur eux.